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1/
Depuis plusieurs jours, tout le monde s’agitait dans le camp.
Les tentes avaient été démontées : la tribu des Indiens allait chercher un autre terrain de chasse.
Le louveteau ne voulait pas partir. Il préférait rester dans la forêt. Il décida de s’enfuir. Il entra dans le fleuve où la glace commençait à se former et nagea le long de la rive, puis il se blottit sous un buisson. Les heures passèrent, il dormit.
Il fut soudain réveillé par la voix de Castor-Gris qui l’appelait. Il entendit aussi d’autres voix : celles de la femme de l’Indien et de son fils Mit-Sah. Croc-Blanc tremblait de peur mais il ne bougea pas. Les voix s’éloignèrent et il attendit encore plusieurs heures.
Puis il se leva et se mit à courir joyeusement. Il se sentait heureux d’être libre.
Mais la nuit tombait, et il se sentit tout à coup très seul. Il s’assit sur son derrière et se mit à écouter le silence de la forêt. Il sentait le danger partout, un danger invisible qui se cachait dans l’ombre noire des énormes troncs d’arbres. Il faisait froid aussi, et il n’avait plus de tente où se réfugier.
Croc-Blanc se souvenait du camp et des feux, des voix des femmes et des hommes, des aboiements des chiens. Il avait faim et il se souvenait des morceaux de viande et de poisson qu’on lui jetait. Il avait pris l’habitude de la compagnie des hommes et il ne savait plus se débrouiller seul. Qu’allait-il devenir ? Il avait peur.
A cause du froid, un arbre fit entendre un craquement violent au-dessus de sa tête. Il sursauta et fut pris de panique. Il avait vraiment besoin des hommes. Il sortit de la forêt et chercha le camp, mais tout le monde était parti.
Où aller maintenant ?
Il s’assit à l’emplacement de la tente de Castor-Gris, leva sa gueule vers le ciel et poussa un long hurlement dans la nuit.
Le lendemain, il s’enfonça dans la forêt pour essayer de retrouver la piste des hommes. Il décida de suivre la rive du fleuve. Il courut toute la journée. La glace commençait à se former. Il courait, glissait, nageait, grimpait sans s’arrêter. Il courut aussi toute la nuit.
Le deuxième jour, il était très fatigué de courir. Ses pieds saignaient. Il se mit à neiger et Crocs-Blanc fut obligé de s’arrêter. Il était épuisé.
2/
Le louveteau était perdu dans la forêt. Il n’aurait jamais retrouvé les Indiens s’il n’avait pas entendu un coup de feu.
Le maître de Croc-Blanc avait décidé de traverser le fleuve et s’était installé sur l’autre rive avec sa famille.
Klou Klouch, la femme de Castor Gris, avait aperçu un élan et avait tiré un coup de fusil pour tuer l’animal et avoir de la viande.
Croc Blanc, qui entendit le coup de feu, traversa le fleuve et retrouva la piste des hommes, en flairant leur odeur.
En trébuchant et en boitant, il suivit cette piste parmi les arbres.
Les bruits des campements arrivèrent enfin à ses oreilles et bientôt, il vit la lueur du feu.
Klou Klouch faisait la cuisine et Castor-Gris mangeait. Il y avait de la viande fraîche dans le camp !
Le louveteau s’attendait à être battu. Il s’aplatit sur le sol et avança quand même. Il détestait la punition qu’il allait recevoir, mais il savait qu’il retrouverait la chaleur du feu, la protection des hommes et la compagnie des chiens.
Il avança donc et se traîna sur le ventre jusqu’à la lumière du feu.
Castor-Gris l’aperçut et s’arrêta de manger. Croc-Blanc rampa vers lui, la tête basse, honteux. Finalement, il se coucha aux pieds de son maître. Il tremblait en attendant sa punition.
Il vit la main de Castor-Gris bouger et il s’aplatit encore plus. Mais le coup ne tomba pas.
Le louveteau leva les yeux. Castor-Gris déchirait en deux son morceau de viande ! Castor-Gris lui donnait un morceau de viande ! Il le flaira, puis le mangea.
Castor-Gris lui donna encore de la viande et le protégea contre les autres chiens !
Puis, Croc-Blanc s’étendit aux pieds de son maître, regardant avec amour le feu qui le réchauffait, heureux de la compagnie des hommes.
3/
A la fin de décembre, Castor-Gris partit en voyage sur la glace du fleuve Mackenzie, accompagné de son fils Mit-Sah et de sa femme Klou Klouch.
Il conduisait un traîneau conduit par les plus gros chiens.
Un second traîneau, plus petit, était mené par Mit-Sah avec les jeunes chiens.
Ce traîneau était plutôt un jouet mais le jeune indien était très fier. Il apprenait ainsi à mener les chiens.
Ce petit traîneau transportait quand même cent kilos de bagages et de nourriture.
On attela Croc Blanc pour la première fois. On lui passa un gros collier autour du cou relié à une courroie qui se croisait sur sa poitrine et sur son dos. A cette courroie était attachée une longue corde qui servait à tirer le traîneau.
Six autres chiens étaient attelés avec lui . Ils avaient neuf ou dix mois, le louveteau avait huit mois. Chaque bête tirait le traîneau à l’aide d’une corde. Les cordes étaient toutes de longueur différente.
Le traîneau était en écorce de bouleau et son avant se relevait pour ne pas s’enfoncer dans la neige.
La différence de longueur des cordes empêchait les chiens de se battre entre eux.
Si un chien se retournait pour mordre celui qui le suivait , il recevait un coup de fouet sur le nez.
Par contre, si un chien voulait attaquer celui qui était devant lui, il devait courir plus vite, ainsi que le chien poursuivi qui avait peur d’être mordu. Ils tiraient donc le traîneau plus fort et tous les chiens de l’attelage accéléraient.
Mit-Sah avait remarqué que Liplip était très méchant avec Croc-Blanc. Il avait alors eu l’idée de l’attacher à la plus longue corde de l’attelage.
Liplip marchait donc en tête. Tout le groupe des chiens avec le louveteau put alors le poursuivre. Liplip dut courir toute la journée le plus vite possible avec la crainte d’être mordu. Quand il essayait de se retourner pour mordre ses poursuivants, Mit-Sah lui donnait un coup de son fouet long de cinq mètres. Pour que les chiens aient encore plus envie de l’attaquer, il donnait à Liplip les plus beaux morceaux de viande, ce qui rendait les autres jaloux et furieux.
4/
Croc-Blanc faisait bien son travail. Il avait presque oublié sa mère. Il se conduisait en bon chien de traîneau pour obéir à son maître.
Quand il n’était pas dans l’attelage, il restait à l’écart des chiens qui ne l’acceptaient toujours pas comme un des leurs. Mais si l’un d’eux s’approchait seul de lui, il lui sautait dessus. Alors les chiens avaient peur de lui.
Il continuait à suivre la seule loi importante pour lui : obéir au plus fort et écraser les plus faibles. De plus, il essayait toujours de voler le repas des chiens. Ceux-ci devaient manger le plus vite possible car ils savaient qu’ils ne pourraient pas se défendre. Le jeune loup était devenu leur maître car il était plus fort.
Par contre, il obéissait à Castor-Gris qui était encore plus fort. Il ne ressentait aucun amour pour son maître. C’était un homme violent qui ne donnait jamais de caresses.
Le voyage à travers le Grand Nord dura plusieurs mois. Ils arrivèrent enfin au campement près d’un lac.
Dans les campements, les chiens avaient le droit de ramasser les déchets de viande pour se nourrir.
Un jour, Croc Blanc s’approcha d’un garçon qui découpait de la viande d’élan et commença à manger les déchets. Mais le garçon prit un bâton et se dirigea vers lui. Le louveteau s’enfuit mais comme il ne connaissait pas encore bien le camp, il se retrouva vite coincé entre deux tentes et le jeune indien. Celui-ci allait le frapper.
Croc-Blanc était furieux car il n’avait rien fait de mal. Il se jeta sur le garçon et le mordit à la main. Pourtant, il savait que c’était absolument interdit de mordre un homme et qu’il allait recevoir une terrible punition.
Il s’enfuit près de Castor-Gris et s’aplatit derrière ses jambes quand le garçon vint se plaindre avec ses parents. Mais Castor-Gris, sa femme Klou Klouch, et son fils Mit-Sah ne voulurent pas punir le louveteau.
Les deux familles se disputèrent. Croc-Blanc écoutait la bataille des mots sans bouger. Il avait compris que seuls ses maîtres pouvaient le frapper quand ils le voulaient et qu’il n’était pas obligé d’obéir aux autres.
Plus tard, Mit-Sah alla seul dans la forêt pour ramasser du bois pour le feu. Il rencontra le garçon qui avait été mordu. Ils recommencèrent à se disputer. Bientôt, d’autres garçons accoururent et ils attaquèrent tous Mit-Sah.
Le combat fut dur pour lui, et il recevait des coups de droite et de gauche. D’abord, Croc-Blanc regardait ce qu’il se passait. Puis il bondit au milieu des combattants. Cinq minutes après, il y avait des combattants en fuite dans toutes les directions et du sang sur la neige.
Lorsque, de retour à la tente, Mit-Sah raconta l’aventure, Castor-Gris donna beaucoup de viande à Croc-Blanc.
Le louveteau avait compris que c’était bien de défendre ses maîtres, même en mordant d’autres hommes.
5/
Kiche, sa mère, était devenue un souvenir lointain du passé.
Le louveteau avait abandonné la liberté pour toujours, il vivra avec des hommes.
L’Indien Castor-Gris, sa famille et ses chiens repartirent en voyage. Ils arrivèrent au nouveau camp en avril.
Croc-Blanc avait un an. Il était devenu l’animal le plus grand et le plus fort de tous. Il avait le pelage gris et la force d’un loup mais il était apprivoisé presque comme un chien. Les autres chiens ne l’attaquaient plus du tout.
Il y avait un vieux chien qui s’appelait Basik. Croc-Blanc le rencontra pour la première fois lors du dépeçage d’un élan. Les chasseurs avaient tué cet élan et le découpaient en morceaux.
Le louveteau avait reçu un sabot avec un morceau de viande. Il le dévorait tranquillement derrière un buisson quand Basik s’élança sur lui. Croc-Blanc le mordit profondément et il recula. Basik, très surpris, resta sur place. Les deux adversaires se regardaient, l’os saignant entre eux. Basik regardait Croc-Blanc d’un air menaçant. Il savait que le jeune loup était devenu plus fort que lui. Mais l’odeur fraîche de la viande qui montait à ses narines l’attirait tellement qu’il ne put attendre que Croc-Blanc soit parti.
Quant il saisi le sabot, le louveteau se jeta sur lui, lui déchira l’oreille, le mordit à la gorge et à l’épaule. Basik comprit qu’il était devenu trop vieux pour se battre avec un jeune loup et il s’éloigna.
Grâce à cette nouvelle victoire, Croc-Blanc put se promener dans le camp sans peur et sans honte. Jamais plus il ne reculait devant un chien, il ne craignait ni les crocs ni les pierres. Il allait droit devant, sauvage et solitaire, ne regardant ni derrière lui ni autour de lui. Il ne voulait ni ennemis, ni amis. La seule chose qu’il voulait c’était avoir la paix.
Au milieu de l’été, alors qu’il se promenait dans la forêt, il tomba nez à nez avec Kiche, sa mère. Elle était assise devant une tente toute neuve que Croc-Blanc n’avait pas vue auparavant.
Il s’arrêta net en la voyant. Il la regarda. A son approche, Kiche se mit à gronder. Avec joie, il s’avança vers elle pour la lécher. Mais elle montra ses crocs et le mordit de toutes ses forces à la joue ! Croc-Blanc recula d’un pas, il ne comprenait pas. Il ne savait pas qu’une mère loup ne reconnaissait pas ses enfants quand ils avaient grandi.
Kiche avait d’autres louveteaux maintenant, aussi elle ne le reconnut pas. Pour elle, il était devenu un étranger, un danger pour ses nouveaux petits. Un des louveteaux vint renifler Croc-Blanc entre ses pattes. Kiche le mordit encore. Le jeune loup gémit et recula.
Alors il regarda Kiche lécher ses petits et il partit. Il se dirigea vers le camp à petits pas.
Il venait aussi de comprendre que les mâles ne s’attaquent jamais aux femelles. Dans les jours qui suivirent, il oublia complètement sa mère.
Les mois passèrent. Croc-Blanc était devenu comme un vrai chien adulte.
S’ il n’était pas venu vivre avec les hommes, il serait devenu un vrai loup sauvage du Grand Nord. Mais les hommes lui avaient appris leurs lois. Comme il n’avait pas pu se faire accepter par les chiens, il était devenu un animal féroce et solitaire. Son maître était très fier de lui.